Dans la collection des sources du droit suisse, la partie consacrée au Canton de Vaud s’est enrichie en 2010 de deux volumes qui méritent l’attention des historiens bernois.
Ils concernent en effet les coutumiers du Pays de Vaud à l’époque bernoise. N’oublions pas que de 1536 à 1798, la majeure partie du Canton de Vaud actuel constituait les terres romandes de la cité-Etat de Berne. Quelques régions aujourd’hui vaudoises bénéficiaient d’un autre statut, car elles avaient été déjà acquises à la suite des guerres de Bourgogne, formellement en 1484: le Gouvernement d’Aigle, qui faisait partie de l’autre grand bloc des terres sujettes de Leurs Excellences, les terres allemandes; les bailliages de Grandson et d’Orbe-Echallens, bailliages communs de Berne et de Fribourg. La Fondation des sources du droit ayant préféré, pour publier les sources du droit suisse, la solution cantonaliste à une solution plus respectueuse de l’histoire, les coutumiers des territoires actuellement vaudois sont réunis dans les deux volumes recensés.
Au 21e siècle, il faut faire un effort pour se représenter que, sous l’Ancien Régime, dans un même canton, des lois fondamentales différentes pouvaient être en vigueur selon les régions. Les huit coutumiers édités, sources essentielles des droits ayant régi le Pays de Vaud à l’époque bernoise, montrent que Leurs Excellences de Berne ont respecté, dans la mesure où la Réforme et le développement toujours plus centralisateur de la Ville et République de Berne le permettaient, les coutumes locales vaudoises. Ce qui n’a pas fait de difficultés, la partie allemande de l’Etat de Berne étant aussi composée de pays de coutumes, avec des villes et des bourgs dotés de franchises.
La première partie de l’ouvrage recensé comprend les coutumiers appelés «généraux », qui s’appliquent à l’ensemble du Pays de Vaud, pour autant qu’il n’existe pas, pour un ressort donné, de coutumier particulier. Il s’agit d’une part du Coutumier de Moudon de 1577, «Libertés, franchises et coutumes du Pays de Vaud», qui donne une image très fidèle du droit vaudois avant la conquête bernoise. A ce coutumier succèdent les «Loix et Statuts du Pays de Vaud», de 1616, deuxième texte édité dans cette première partie. Ils sont rédigés dans le même souffle que la «Vernüwerte Gerichtssatzung » des terres allemandes de 1614 (cf. SDS BE, Stadtrechte VII, 2, p. 733 – 828). Ce n’est plus à proprement parler un coutumier, mais un nouveau corps de droit où l’influence bernoise se ressent beaucoup plus nettement.
Dans la seconde partie figurent les coutumiers particuliers, rédigés aux 17 e et 18 e siècles, lorsque le statut spécial d’une ville ou d’un bailliage justifiait une telle démarche. Le «Plaict général» de Lausanne de 1618 concrétise le refus des habitants des anciennes terres épiscopales lausannoises (Lausanne, Lavaux et Avenches) de se soumettre aux Loix et Statuts du Pays de Vaud. L’existence des Compilations de Payerne de 1591 et des Loix et Statuts de cette même ville, de 1731 / 33, se rapporte à la combourgeoisie qui liait Payerne à Berne depuis 1344, soit deux siècles avant la conquête du Pays de Vaud. Elle reflète le statut particulier octroyé par Berne à son ancienne combourgeoise. Le Code d’Aigle de 1770 / 1772, fruit de plus de quarante ans de labeur, auquel a participé l’illustre Albert de Haller, est commandé par la Chambre des appellations allemandes en 1727. Il s’applique aux trois mandements de la plaine du Gouvernement d’Aigle. Le Recueil des us et coutumes d’Ormont-Dessous, du 18 e siècle, met en lumière le droit particulier pratiqué dans le quatrième mandement dudit Gouvernement, celui des deux Ormonts. L’ouvrage recensé édite encore les coutumiers des bailliages communs de Berne et de Fribourg qui font aujourd’hui partie du Canton de Vaud: celui de Grandson, de 1702, mais imprimé en 1780, et les franchises d’Echallens de 1715, jusque-là jamais imprimées.
Les huit coutumiers, dont on peut prendre connaissance dans les deux volumes, sont des actes législatifs officiels qui ont été appliqués, bien que quelques-uns n’aient jamais été formellement sanctionnés par le Gouvernement bernois. Les fameux commentaires de Pierre Quisard («Le Commentaire coustumier ou soyt les franchises, previlleges et libertez du Pays de Vuaud», Nyon, 1562) et de Jacques-François Boyve («Remarques sur les Loix et Statuts du Pays de Vaud», Neuchâtel, 1756 1, 1776 2) ne figurent donc pas parmi ces sources du droit.
L’auteure de l’ouvrage, Regula Matzinger-Pfister, décédée peu après la publication, a abattu un travail considérable pour éditer de manière scientifique ces textes peu accessibles jusqu’ici. Chaque coutumier bénéficie d’une courte introduction, de notes et références. Les index des noms de personnes et de lieux, ainsi que des matières, qui terminent le second volume, s’avèrent fort pratiques, mais aussi passionnants. Consultez par exemple les entrées «appellation», «lod» et «serment»!
Il faut enfin rappeler qu’en 2003, dans la même collection des sources du droit suisse, les sources du droit du Canton de Vaud, avait paru un épais volume consacré aux mandats généraux bernois pour le Pays de Vaud, dont Madame Matzinger était déjà l’auteure.
Zitierweise:
Nicolas Barras: Rezension zu: Matzinger-Pfister, Regula: Les coutumiers du Pays de Vaud à l’époque bernoise, 1536 – 1798. Les sources du droit suisse, XIX, Les sources du droit du Canton de Vaud, C II. Bâle: Schwabe 2010. Zuerst erschienen in: Berner Zeitschrift für Geschichte, Jg. 77 Nr. 2, 2015, S. 77 -78.